jeudi 14 mai 2015

Paul Scarron ~ Chason à boire

         « Chanson à boire », datée d'avant 1642 par Maurice Cauchie, chef d'œuvre du genre : mètre impair (13 pieds), évocation du marquis de Cinq-Mars (mis à mort après une conspiration), et même éloge du marquis exécuté, verve exceptionnelle, exubérance, memento mori, animalité, métamorphose, humour, valeurs guerrières et trivialité de l'ivresse mises au même niveau dans une dé-hiérarchie morale, ce poème est un chef-d'oeuvre en soi.

                Que de biens sur la table
                Où nous allons manger !
                O le vin delectable
                Dont on nous va gorger !
Sobres, loin d'icy ! loin d'icy, beuveurs d'eau bouillie !
Si vous y venez, vous nous ferez faire folie.
Que je sois fourbu, chastré, tondu, begue-cornu1,
Que je sois perclus alors que je ne boiray plus.

                 Monstrons nostre courage :
                 Beuvons jusques au cou.
                 Que de nous le plus sage
                 Se monstre le plus fou.
Vous, qui les oisons imitez en vostre breuvage,
Puissiez vous aussi leur ressembler par le visage.
Etc.

                Et d'estoc & de taille
                Parlons comme des foux ;
                Qu'un chacun crie & braille :
                Hurlons comme des loups.
Jettons nos chapeaux & nous coiffons de nos serviettes,
Et tambourinons de nos cousteaux sur nos assiettes.
Etc.

                Que le vin nous envoye
                D'agreables fureurs !
                C'est dans luy que l'on noye
                Les plus grandes douleurs.
O Dieu ! qu'il est bon ! prenons en par dessus la teste ;
Aussi bien, chez nous, vomir est chose fort honneste.
Etc.

                 Hastons nous de bien boire
                 Devant qu'il soit trop tard,
                 Et chantons à la gloire
                 Du Seigneur de Cinq-Mars :
Il est beau, vaillant, courtois, prend plaisir à despendre :
Tel fut autrefois defunt Monseigneur Alexandre.
Etc.


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1 ~ Je reprends la note de Cauchie : « Pour becque-cornu (travestissement de l'italien becco cornuto), qui signifie cocu.

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